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Newroz 2015 : deux ans après l’allégresse, l’espoir régresse ?

Halay autour du feu traditionnel de Newroz, à l'université Yıldız Teknik. Source : "Fédération des Associations des Étudiants Démocratiques" https://www.facebook.com/dodefytu/posts/697173340392099

Halay autour du feu traditionnel de Newroz, à l’université Yıldız Teknik. Source : page Facebook de la « Fédération des Associations des Étudiants Démocratiques »

Il y a deux ans, je vous avais déjà parlé de la fête kurde de Newroz. Elle a lieu chaque année le 21 mars et, deux ans auparavant à la même date, j’étais partie assister aux festivités à Diyarbakir, souvent considérée comme la « capitale » du Kurdistan de Turquie. Newroz est également célébrée partout en Turquie par la communauté kurde, dans les jours qui précèdent et qui suivent la date officielle. Les réjouissances sont organisées dans diverses villes par le HDP, le « Parti démocratique des peuples », qui regroupe le principal parti pro-kurde (BDP, Parti de la Paix et de la Démocratie) ainsi que d’autres partis de gauche. Les étudiants sympathisants du HDP, quant à eux, célèbrent cette fête dans les universités.

Jusqu’à une date relativement récente, en tant que symbole de l’identité kurde et de la contestation de la politique assimilationniste d’État, Newroz était une fête interdite. À présent, l’attitude de l’État envers les Kurdes s’étant quelque peu assouplie, et des pourparlers étant officiellement en cours depuis deux ans entre le premier et le PKK, la guérilla kurde, aucune interdiction de ce genre n’existe en théorie. Cependant, Newroz, en plus d’être une occasion de se divertir, reste bien une manifestation politique, lors de laquelle les participants réitèrent leurs revendications (autonomie du Kurdistan et des autres entités régionales dans le cadre d’un état fédéral, droits culturels et linguistiques) et pressent le gouvernement de mettre plus de bonne volonté dans le processus de résolution du conflit, qui ne semble pas vraiment progresser depuis deux ans.

Les festivités de 2013, auxquelles j’avais assistées, s’étaient déroulées dans le cadre d’un appel à un cessez-le-feu et du lancement d’un processus de paix. L’atmosphère semblait empreinte de joie, d’espoir. Je m’étais entretenue avec des Kurdes relativement optimistes sur la possibilité de mettre fin à un conflit de 30 ans. En 2015, en revanche, le mouvement kurde estime que le gouvernement ne fait pas d’efforts dans le cadre des pourparlers ; de plus, en Irak et en Syrie, les Kurdes (non seulement la branche syrienne du PKK, mais aussi la mouvance kurde conservatrice qui dirige la région autonome kurde d’Irak) sont, ensemble, aux prises avec les djihadistes de DAECH, soupçonnés d’avoir reçu un soutien logistique de la part de l’État turc (voir ici et ).

Marche des étudiants à l'université Yildiz Teknik à l'occasion de Newroz. Source : page Facebook de la "Fédération des Associations des Étudiants Démocratiques"

Marche des étudiants à l’université Yildiz Teknik à l’occasion de Newroz. Source : page Facebook de la « Fédération des Associations des Étudiants Démocratiques »

Pour toutes ces raisons, sans doute, j’ai senti une grande colère de la part des étudiants qui célébraient Newroz à l’Université Yildiz Teknik (où j’ai effectué mon deuxième Erasmus le semestre dernier) et à l’Université Technique d’Istanbul (où j’ai atterri un peu par hasard en suivant des amis de la première université). Certes, la fête était plutôt divertissante, il y avait de la musique, des chansons, on dansait le halay ; mais des slogans fusaient régulièrement, tels que « Vive le chef Apo ! » (petit nom signifiant « oncle » et attribué au chef emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan). Dans la deuxième université, les étudiants, qui n’ont pas été découragés par le froid et une légère pluie, ont organisé une marche aux flambeaux le soir. Si cette dernière s’est déroulée sans aucun incident, elle avait un aspect assez militariste (marche en rythme, slogans) qui avait de quoi effrayer le riverain.

J’ai constaté à cette occasion que d’une part, les festivités dans ces deux universités semblaient plus « guerrières » que celles de l’université Anadolu à Eskişehir il y a deux ans (il n’y a cependant pas eu de violence physique ni de dégradations : il s’agit plutôt d’une posture) ; et d’autre part, qu’elles étaient aussi plus « guerrières » que le Newroz officiel organisé par le HDP à Istanbul. Les étudiants se montrent radicaux, ils cherchent peu le compromis, alors que le HDP cherche davantage à séduire, à rassembler, à promouvoir « la fraternité des peuples » ; il organise une fête plus politiquement correcte, en somme. Cela est d’autant plus vrai en ce moment, puisque les élections législatives du 7 juin se rapprochent et que le parti cherche à attirer le plus possible de voix de l’électorat de gauche, pas uniquement kurde, pour franchir le fameux « barrage » des 10 % (un parti ne peut être représenté à l’Assemblée nationale que s’il obtient plus de 10 % des suffrages ; le HDP réclame d’ailleurs l’abrogation de cette règle, accusée d’être anti-démocratique).

Newroz à Istanbul. Source : cet article de IMCtv http://www.imctv.com.tr/2015/03/22/76798/istanbulda-newroz-yuz-binlerin-katilimiyla-kutlandi

Newroz à Istanbul. Source : cet article de IMCtv

Les Newroz officiels du HDP ont donc été l’occasion de fournir une tribune à des personnalités du parti. À Diyarbakir, pour la troisième année consécutive, une lettre d’Abdullah Öcalan a été lue en turc et en kurde devant la foule ; le leader emprisonné y réitérait son souhait de faire aboutir le processus de paix et demandait la constitution d’un congrès qui définirait les conditions dans lesquelles le PKK renoncerait à la lutte armée. À Istanbul, sous un grand soleil et devant une foule enthousiaste de dizaines de milliers de personnes, plusieurs intervenants se sont exprimés, dont Selahattin Demirtaş, le co-président du HDP (chaque poste du parti étant occupé par un binôme homme-femme, dans un souci de parité ; la co-présidente du parti se nomme Figen Yüksekdağ). Il appelait les électeurs à mettre fin à « la dictature de l’AKP », affirmant que « la barbarie de l’EIIL et celle de l’AKP [le parti au pouvoir] seront détruites par la lumière de Newroz ». Il interpellait en ces termes le président turc Recep Tayyip Erdoğan : « Nous sommes des millions, toi tu es tout seul ». La fête s’est terminée sans aucun incident, bien que sous haute surveillance policière (dont un hélicoptère qui survolait le rassemblement en permanence).

Il convient d’ajouter que si, dans la plupart des endroits, Newroz s’est déroulé sans violence, plusieurs incidents ont cependant eu lieu dans le pays, comme dans les villes kurdes de Van et de Batman, où des personnes étaient sorties du périmètre réservé à la célébration ; la répression de la police a donné lieu à des affrontements. Des membres du HDP ont également été agressés au couteau à Izmir, alors qu’ils se rendaient à la fête. Par ailleurs, dans un certain nombre d’universités, de jeunes nationalistes turcs ont attaqué les personnes qui participaient à Newroz, les étudiants se sont battus à coups de bâtons et de couteau, et certains ont dû être hospitalisés en raison de leurs blessures. Les universités turques concentrent de manière exacerbée les tensions présentes dans la société : il arrive qu’elles soient le théâtre d’affrontements de ce genre, soit entre étudiants politisés, soit entre les étudiants et la police. En février, un étudiant est mort lors de l’une de ces rixes à Izmir.

Mise à jour : Cela m’avait échappé, mais les autorités turques ont attaqué ces derniers jours des positions du PKK malgré le cessez-le-feu. La paix semble décidément bien fragile…

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Appel aux artistes : du 16 au 19 mai 2014, rassemblement pour sauver Hasankeyf

 

Vue des hauteurs d’Hasankeyf. Origine de l’image : http://shelikestravelling.blogspot.com/2013/01/hasankeyf.html

 

 

Qu’est-ce que Hasankeyf ?

 

Il s’agit d’une cité vieille de plus de 10 000 ans qui se situe dans le sud-est de la Turquie, sur les rives du Tigre. Traversée par de nombreuses civilisations (dont les Perses, les Romains, les Byzantins, les Omeyyades, les Abbassides, les Ottomans), elle en garde de nombreuses traces telles que des maisons creusées dans la roche, de nombreux monuments ou les 300 sites médiévaux retrouvés dans la zone qui l’entoure. Elle s’inscrit également dans un paysage naturel exceptionnel.

Le barrage d’Ilisu, que le gouvernement turc est en train de construire et qui devrait bientôt être mis en service, submergera une zone de 310 km² (soit la superficie de Malte !) incluant Hasankeyf.

 

 

 

Quelles seront les conséquences de la construction de ce barrage ?

 

Ce projet aura de graves répercussions écologiques, culturelles, humanitaires.

 

  • Les conséquences écologiques : cinq Zones Clés pour la Biodiversité (zones importantes pour la préservation de la biodiversité mondiale) seront englouties. De nombreuses espèces de faune et de flore, dont certaines déjà en voie de disparition, seront mises en danger. En outre, l’eau relâchée par le barrage sera polluée, plus froide que l’eau du fleuve et pauvre en oxygène : peu d’espèces peuvent s’adapter à de telles conditions. Le barrage, en amputant de 25 % le débit du Tigre à son entrée en Irak, pourrait également assécher une partie des marais mésopotamiens au sud du pays. L’impact sera d’autant plus fort que d’autres barrages sont prévus sur le Tigre avant la frontière irakienne.

 

  • Les conséquences culturelles : cette zone est la seule du monde à correspondre à 9 des 10 critères pour être classée « Patrimoine mondial de l’humanité » selon l’UNESCO ! Cependant, ce titre ne peut être accordé que si le gouvernement turc en fait la demande.

    De nombreux monuments historiques ainsi que les maisons creusées dans la roche (certaines d’entre elles comportant des inscriptions antiques en syriaque) seront condamnées à disparaître sous les eaux. Il en ira de même pour les sites archéologiques qui entourent la cité ; les chercheurs estiment que l’on pourrait en découvrir beaucoup plus si la zone n’était pas submergée. Le gouvernement a proposé de démonter et de remonter certains monuments dans un « parc archéologique » près du barrage, mais aucune étude de faisabilité n’a été faite. Non seulement les experts doutent de la possibilité de mener à bien ce projet, mais le caractère unique d’Hasankeyf réside dans la totalité du paysage culturel et naturel, qu’il est impossible de recréer en déplaçant quelques monuments ; chaque élément est intimement relié à ce qui l’entoure. Bien entendu, on ne peut pas non plus sauver les maisons creusées dans la roche.

 

  • Les conséquences humanitaires : entre 55 000 et 65 000 personnes vivant dans les villages de la zone menacée devront être déplacées. Elles peuvent choisir entre être relogées (une nouvelle ville est en cours de construction au-dessus d’Hasankeyf) ou toucher une indemnité, cependant aucune de ces deux possibilités n’est satisfaisante pour la plupart des habitants. Le revenu des gens de la région provient notamment de l’agriculture, mais lorsque la vallée sera submergée, cette activité ne sera plus possible : il restera peu de terres cultivables, le sol de la région est sec et rocailleux. Les nouveaux appartements dans lesquels on propose de reloger les habitants d’Hasankeyf sont en outre plus chers que les sommes qu’on leur propose pour leurs anciennes maisons. Quant aux familles choisissant de s’exiler vers la ville, elles ne pourront subsister avec les maigres indemnités qu’on veut leur attribuer. Les familles seront dispersées dans plusieurs villes, les personnes isolées et appauvries.

    Le contrôle du débit du Tigre par la Turquie pourrait aussi avoir des conséquences néfastes sur les populations en aval, en Syrie et en Irak.

 

 

Que peuvent faire les artistes pour Hasankeyf ?

 

De nombreuses organisations (Greenpeace, syndicats, membres de communautés comme CouchSurfing…) organisent pour la cinquième année consécutive un rassemblement artistique à Hasankeyf. Le but est de créer des archives visuelles et audiovisuelles (peintures, dessins, films, photos, enregistrements) pour rendre compte de l’héritage vivant exceptionnel de Hasankeyf. Pendant quatre jours, les participants partiront à la découverte de la ville, de ses habitants, de ses paysages, et produiront des images à partir de tout ce qui les interpelle ou les touche : la nature, les vestiges archéologiques, l’architecture, les scènes de rue…

 

 

Obtenez plus d’informations sur l’événement et contactez les organisateurs :

 

Vous pouvez également signer cette pétition demandant l’arrêt de la construction du barrage : http://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/unesco-world-heritage-committee-save-world-heritage-on-the-tigris-river-in-mesopotamia

 

 

Si Hasankeyf et la question des barrages vous intéressent, vous pouvez aller plus loin :

 

 

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Premiers pas à Istanbul

Les vols internationaux ne se rendant pas à Eskişehir, il faut d’abord faire escale à Ankara ou Istanbul. Ankara est plus proche, mais puisque j’ai des amis à Istanbul (dont plusieurs Erasmus comme moi) et que j’ai beaucoup apprécié cette ville au cours des deux brefs séjours que j’y ai effectués, j’ai choisi d’y séjourner une semaine.

Le billet d’avion le plus avantageux que j’ai trouvé m’obligeait à partir de Marseille à… 1h55, et à arriver à 5h55 (heure locale). Inutile de vous dire que l’aéroport était particulièrement calme à cette heure-là. J’ai sympathisé avec R., un autre passager qui est tombé amoureux d’Istanbul après y avoir fait son année d’Erasmus et a choisi d’y rester comme professeur de Français. Nous avons pris le petit déjeuner ensemble à Taksim. J’ai préféré prendre mon temps pour ne pas réveiller trop tôt mon hôte.

En effet, toutes mes connaissances stambouliotes n’étant pas sur place en ce moment, et comme il n’était pas très pratique pour celles qui y sont de m’héberger, j’ai eu recours au Couch Surfing. Je loge dans une colocation de cinq garçons, dont quatre Kurdes. Même s’ils trouvent que je ne parle pas assez (à ma décharge, il faut dire qu’il m’est difficile de participer aux conversations en Kurde, mais j’ai quand même parlé un peu avec chacun d’eux en Turc et en Anglais), ils sont très accueillants puisque mon couchsurfer m’a laissé sa chambre et qu’ils partagent leurs repas avec moi. J’ai proposé un peu d’argent pour ne pas vivre à leurs frais pendant une semaine, mais ils n’ont pas accepté. Hier matin, jour de mon arrivée, j’ai même eu droit à un deuxième petit déjeuner !

L’appartement est situé dans Fatih, un vieux quartier d’Istanbul. Certains éléments sont assez traditionnels dans l’aménagement. On enlève ses chaussures en entrant. Il y a des tapis dans chaque pièce, ce qui rend agréable le fait de marcher pieds nus. Dans le salon, on mange sur le tapis, en utilisant de vieux journaux en guise de nappe. Mes hôtes ont deux toilettes : occidentales et à la turque… Mais les occidentales sont hors service pour le moment.

Pour ceux de mes lecteurs qui ne sont pas familiers avec les Kurdes, voici un résumé très rapide de la situation. Ce peuple vit en Turquie, en Syrie, en Irak et en Iran. Après la défaite de l’Empire ottoman lors de la première guerre mondiale, le traité de Sèvres (1920) prévoyait le démantèlement de l’empire et la création d’un état kurde. Cependant, les Turcs entrèrent dans une guerre d’indépendance et le traité de Lausanne (1923) révise le traité précédent, divisant le Kurdistan entre plusieurs états. Aujourd’hui encore, de nombreux Kurdes réclament, sinon leur indépendance, du moins l’autonomie et la reconnaissance de leur identité. En Irak, il existe une région kurde autonome. En Turquie, si l’existence même des Kurdes a longtemps été niée dans un état très nationaliste, quelques pas ont été faits depuis vers la reconnaissance de leur culture. Les Turcs restent cependant méfiants, et les Kurdes un peu trop revendicatifs sont vite assimilés au PKK, l’organisation armée kurde. Les partis kurdes sont régulièrement dissous, accusés de n’être que des façades démocratiques du PKK. Mon couchsurfer regrette que les Turcs ne soient pas davantage ouverts à d’autres cultures, et a plutôt mal vécu le fait qu’on l’ait forcé à parler le Turc (qui n’est pas sa langue maternelle) à l’école. Cette mésentente est d’autant plus dommage qu’il y a un certain nombre de similitudes entre ces deux cultures.

Ne serait-ce que la quantité incroyable de thé qu’ils boivent tout au long de la journée… Je crois que je n’en avais jamais autant bu de ma vie !

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